Dans ce groupe de trois filles mineures, cet expatrié interpelle, alors que sa compagnie se dirige dans les toilettes. La concurrence d’offres sexuelles est rude sur la plage et tout le monde n’ose pas s’y prendre directement. De taille moyenne, sculpté de muscles publicitaires, rangers aux pieds, sanglé dans un uniforme soigné, Mougouman est bel et bien de service ce jour avec « son offre sécurisée ». Les yeux rivés sur l’écran de son smartphone en toute discrétion, il démarche et conclut les types de prestations. Il est étendu sous une paillote, détendu comme un vacancier, non loin ses collègues papotent. Des filles sont contactées et dans l’attente Mougouman, ce boss dans son univers comprend chaque regard lubrique comme l’expression de la liberté.

Mougouman est pourtant un homme aux ordres. Depuis son poste de vigile, il fait rouler un business personnel hors de son domaine d’activité officiel. Son réseau, le proxénétisme orienté vers les touristes dans la ville de Grand-Bassam. Les prestataires ne font pas défaut. Le chômage, le manque de revenus décents, le désir de partir loin de la précarité africaine, reviennent comme motifs. Le tourisme exotique au détriment des cultures et des vulnérabilités locales attire dans son industrie.

Aux dires du concerné, un contingent d’une vingtaine de filles est sous sa coupole. Elles sont disposées dans cette ambiance chaude et aérée à assurer des balades entre ciel, terre et mer. Au contact d’un client à la recherche d’une compagnie, Mougouman propose le service de ses filles « très sérieuses » pour des « pass » ou des nuits renouvelables. Les coûts sont à discuter avec l’escorte, indique-t-il. Toutefois, le proxénète en tenue réclame pour la mise en relation une commission pouvant atteindre la dizaine de mille voire au delà selon l’allure du client et le type de souscription.

A côté de Mougouman, plusieurs autres personnes en tenue se comportent en proxénètes sur les plages de la ville historique de Grand-Bassam. Certains démarchent les filles en balade sur la plage pour constituer leur carnet de contacts. Un mannequin dans la localité raconte avoir été plusieurs fois accostée par des vigiles pour des rendez-vous avec des touristes européens. Un recrutement actif sans curriculum vitæ ni niveau d’étude requis.

Dans le catalogue de Mougouman, les profils sont variés. On retrouve des commerçantes, des masseuses, des étudiantes et aussi des lycéennes. Si certaines filles ont été convaincues par ce dernier, plusieurs sont venues d’elles mêmes pour proposer un partenariat. Rita, filiforme et élancée, une masseuse ambulante sur le bord de mer, ne manque pas de rendre des visites régulières à cet « ami », confie-t-il.

Les précurseurs de cette forme de proxénétisme se retrouvent, selon certains témoignages, dans le rang des gérants d’espaces de détente. Cependant, les filles préfèrent dorénavant miser sur la collaboration avec les vigiles et réceptionnistes des hôtels de haut standing pour leur clientèle élitiste. « L’argent est certes le mobile principal de la prostitution. Mais, la majorité des filles souhaitent à travers ces multiples rendez-vous rencontrer un expatrié », espérant que l’idylle se termine en Europe.

La pratique de la prostitution s’est donc répandue sur la plage. Des filles rappliquent de plus en plus d’Abidjan ou autres localités environnantes pour concurrencer les autochtones. Des sources évoquent la participation de  certaines filles de l’Université internationale de Grand-Bassam. Des joueuses orientées essentiellement vers des terrains plus luxueux. L’activité est ainsi devenue très concurrentielle et les implications se multiplient. Chacun déploie alors ses meilleures techniques marketing. « Quand tu nages, tu es excité », lance un de ces proxénètes pour appâter un baigneur qui lui répond : « je suis commercial aussi ». Les filles prennent directement des initiatives, déambulant dans des zones stratégiques. Cette communauté autour du commerce du sexe s’élargit pendant que la sensibilisation aux risques se raréfie. Outre, les perdus de vues porteur de VIH se multiplient.

La nuit tombe sur la ville de Grand-Bassam. Au moment où la plage se vide de son monde, certains négocient toujours leurs fantasmes qui virent souvent aux cauchemars. « Les gens veulent tester beaucoup de choses. Chacun est libre », argumente Coul, un autre intermédiaire, hochant les épaules.

Mougouman semble pris de remords quand il s’agit des mineurs qui intègrent ces cercles de prostitution. Il reconnait que son activité n’est pas normale. Mais, « l’argent rapide et les filles qui montrent qu’elles comptent sur nous pour s’en sortir…Tout ça, ça nous maintient » dans « ce string infernal», pâme l’agent de sécurité.

La cerise sur le gâteau : le commissariat complice

Un peu plus en retrait, dans le centre ville, au quartier Phare, un autre nid s’anime. Les fées de nuit ont conquis une ruelle à quelques encablures de la radio communale. L’écho de la pratique de la prostitution en ces lieux couvre la ville. Le commissariat de police n’est qu’à deux voire trois minutes de marche. Dans le quartier, un adolescent indique aisément où trouver « les filles », comme s’il connaissait par cœur sa leçon de Géographie.

La musique tambourine, le « bazouka » de Fally Ipupa rythme sans doute pour dire la bienvenue, vous êtes à la bonne adresse. Plus affirmées, une activité assumée. Elles n’y vont pas par quatre chemins pour marquer leur présence, au grand mépris du Commissaire et de ses hommes dont les yeux restent bandés. De toutes les façons même à l’école de police la violence sexuelle est au goût du jour. Sodomies doublée d’ignominie. Entre 2015 et 2019, l’indice de corruption a fait 17 coups peut-on dire pour garder le sourire devant les conséquences désastreuses corollaires. La corruption passe de 26% à 43% en quatre ans, avec ces forces de l’ordre. Performance et croissance d’une administration sensibilisée à l’émergence d’un ivoirien nouveau.

Alors, pas surprenant, quand les positions kamasoutra sont proposées à haute voix pour attirer tout individu de sexe masculin qui traverse ces ruelles avec accès sur le commissariat. A Bassam, ces filles brillent par leur présence malgré la pénombre. L’insécurité est réputée au quartier Phare, par ailleurs. Contraste ! Mais qui pour faire le constat sans tripatouiller ?

Assise sur un haut siège dans une petite culotte assortie d’un décolleté, Joyce claque du chewing-gum, un smartphone à la main. Dans un français gribouillé, couplé d’un anglais bancal, elle détaille ses tarifs: le « passage à 2 000 F CFA, et la nuit à 20 000 F CFA ». Plusieurs proviennent du Ghana, pays frontalier, c’est le réseau traditionnel. Selon plusieurs ONG, un recensement notifiait en 2015, 15 000 commerçantes du sexe sur le territoire national. Post 2015, qu’est devenue cette population, si l’on sait un peu plus sur la corruption à la police depuis lors. Surtout que, les touristes de l’orpaillage illicite s’installent avec leur cohorte libidinale sur l’ensemble du territoire national.

Cependant, les bizi, les tontines sexuelles, et autres acteurs de la prostitution aux ramifications multiples opèrent sous l’œil complice de décideurs alertés sur les causes majeures et la stratification de la communauté impliquée.

La délinquance, la drogue, auréolent le milieu en plus des maladies. Avant que le vice ne s’imprègne, la pauvreté et plusieurs influences sociales font le pont. Les saisies de drogues à Grand Bassam entre 2018 et 2019 atteignent les trois(3) tonnes. Par ailleurs, le pays enregistre plus de 39% des décès liés au VIH Sida dans le monde. La « Sublime Côte d’Ivoire » ambitionne cinq (5) millions de touristes sans campagne sociale d’accompagnement. Le Sud-Comoé et ses villes balnéaires constituent un pôle attractif avec des risques socio-sanitaires palpables.