« Ce soir c’est Orange au menu. Plein dans les assiettes de tous les membres de la famille », s’extasie Yves. Ce père de famille est assis avec en face de lui son plat de riz à la sauce graine, dans une obscurité atténuée par la torche de son téléphone portable. Les défis de la sécurité alimentaire persistent malgré les progrès techniques et technologiques.

Dans le département d’Issia, la créativité linguistique s’inspire du vocabulaire des TIC et traduit les spéculations pour s’alimenter. Cherté des produits, pénuries d’aliments ou encore abondance des denrées, rythment avec la quête d’une sécurité alimentaire optimale.

Lorsque c’est la saison du riz à Zézahio, petit village enclavé de Saïoua, – où l’agriculture est la principale activité des populations – la récolte s’amasse dans le grenier. Elle ne couvre pas les besoins alimentaires annuels. Les habitants de ce village désignent cette céréale par le nom de l’opérateur mobile Orange, leader du marché national, c’est par comparaison aux coûts. Le riz coûte cher aux populations autant que les services de ce réseau mobile, réputés pour des tarifs onéreux. Orange affiche un chiffre d’affaires au delà de 143 milliards.

Pour les communautés agricoles en Côte d’Ivoire, la production de riz est aussi bien coûteuse en énergie qu’en ressources financières, confrontées désormais au changement climatique. L’achat de riz importé expose une large partie de la population aux vulnérabilités socio-économiques. Ce recours vers lequel se tournent les consommateurs en cas de pénuries depuis des décennies limite leurs performances culturelles et financières. La période de soudure en dit long. Le riz est l’aliment de base chez le peuple Bété. Alors est-ce-que le recours au riz importé si ancré peut être une alternative durable ?

Le prix de la céréale importée atteint jusqu’à 700 F CFA, de très près celui du kilogramme de cacao. Et c’est un luxe de consommer ce riz en zone rurale.

Les aléas climatiques n’épargnent pas non plus des cultures comme la banane ou les ignames. Rares ou à rentabilité faible. Adopter MTN, s’avère difficile. Ici, le foutou est apprécié. Mais, compliqué à réaliser du fait des récurrentes pénuries de bananes plantain. Consommer local en qualité passe pour le plus pénible.

Ainsi, tous se mettent au « Moov ». Quand les tubercules de manioc sont difficiles à cuire, elles sont transformées en placali. L’attiéké, autre mets local obtenu après transformation du manioc n’est pas un aliment très répandu sur place surtout que les techniques de fabrication ne sont pas maîtrisées par tous. Le placali appelé « Moov » abonde sur les marchés. Il trône dans les assiettes, accompagné de sauce graine, djoublé ou kopê, presque tous les jours durant cette période. Abondance mais risque de carences. Le réseau de téléphonie mobile éponyme offre beaucoup de bonus. Mais, les villageois désapprouvent la volatilité de cet aliment. « Quand tu urines deux, trois fois, tu as faim quelque soit la quantité de placali consommée », entend-on régulièrement. Et insiste, cet élève, « c’est pareil avec les bonus de la compagnie ». C’est donc un choix par défaut pour un grand nombre, devant la cherté du riz et les pénuries de banane plantain.

La gestion des cultures, des sols, du climat, avec les structures spécialisées (Sodexam, CNRA,  Anader, Aderiz, et diverses), et du circuit de commercialisation évolue à pas de tortue. La construction d’une collaboration intégrée, interactive et dynamique augure pour accroître les gains de productivité.

Recherche-action et service communautaire, un leitmotiv du Centre Suisse de Recherche en Côte d’Ivoire(CSRS) mérite des encouragements. Les acteurs de la chaîne associés au développement d’une recherche scientifique durable s’activent. Des expériences de ce type menées par le CSRS permettent de toucher plus d’un millier d’acteurs de la filière agricole depuis plus de deux ans. Une nouvelle variété d’ignames accroît le rendement des producteurs de cette denrée que les autres variétés, l’igname R3. Seulement les conditions de conversations lors du circuit de commercialisation engendrent trop de pertes pour cette denrée quelques soient les variétés.

Sur la route de l’ouest, les localités de Guiberoua et Danané sont impactées autant que dans la région nord par ces initiatives. 895 agriculteurs dont des riziculteurs intégrés à la recherche facilitent la découverte de plantes herbicides et de résultats diversifiés. L’expertise artisanale et académique s’unissent pour dynamiser les techniques culturales. Une synergie d’action au service de la sécurité alimentaire et de l’épanouissement humain.

L’avènement d’une société Pacifique à l’échelle rurale et (trans)nationale passe par une gestion équitable et durable de l’environnement. Mieux imprégnés, les acteurs des filières primaires s’autodéterminent et contribuent à l’intérêt général. Cette démarche est un pas durable pour une citoyenneté participative. Améliorant aussi le faisceau décisionnel des dirigeants décideurs. Un abri pour une paisible cohabitation, dans la diversité, avec à la clé, la réduction de la pauvreté sous toutes ses formes. Car, nul n’ignore que les violences extrémistes couvent leurs œufs dans l’argumentaire de l’inégalité et de l’indignité.

L’horizon n’est pas rassurant par ailleurs malgré la création d’un nouveau ministère dédié à la riziculture, en plus de celui de l’agriculture, et d’une multiplicité de structures tutélaires. Les promesses gouvernementales pour une autosuffisance en riz ne datent pas d’hier. Les terres cultivables sont rares, épuisées par des politiques axées sur des cultures de rentes extensives au détriment du vivrier. Dans la zone de Saïoua, l’hévéaculture s’impose, quand l’essentiel des forêts a laissé place au cacao. Avec davantage de palmiers à huile dans d’autres zones du pays. En effet, en Côte d’Ivoire, de la forêt dense, il ne reste plus que de beaux souvenirs. Les bas-fonds existent cependant, à perte de vue, à Saïoua et dans plusieurs régions du pays. La Chine, la Thaïlande ou le Viêt-Nam, pays exportateurs de riz vers la Côte d’Ivoire, basent leur modèle de production de cette céréale sur les bas-fonds. Soubré s’inspire de ces expériences avec des limites.

La Côte d’Ivoire affiche un taux de pénétration de la téléphonie mobile de plus de 143%, selon les dernières statistiques de l’Autorité de régulation des télécommunications en Côte d’Ivoire (ARTCI). Comme l’alimentation, le téléphone s’incruste dans la vie des consommateurs. Information, communication, et technologies 2.0. Outre, dans les moments de disettes au village, un coup de fil passé à un proche en zone urbaine permet de soulager la faim par un transfert d’argent via le Mobile money. Le taux de bancarisation est très bas dans le pays, à peine 20%. Une implication multisectorielle et transdisciplinaire pour l’amélioration du secteur primaire urge. Des moyens accessibles sont à promouvoir.

Sous l’influence des nombreuses publicités des différentes compagnies de télécommunications, certains consommateurs investissent beaucoup dans les rechargements de crédits de communication, quand il faut  davantage de ressources financières pour s’offrir ne serait-ce qu’un repas par jour. Dans le pays, les forfaits internet mensuels, tous réseaux télécoms compris, coûtent au minimum 2 500 et excèdent la bagatelle de 20 000 F CFA. Des valeurs respectives proches d’un sac de riz de 5 kg et d’un autre de 25 kg.

Optimiser la valorisation agricole reste un défi d’intérêt général. De tels travaux sources de paix, de sécurité alimentaire et d’indépendance économique constituent un bouclier pour la santé du capital humain, quelques soient les couches sociales. Naturellement à tous les niveaux. Le sens de l’agroforesterie dans une dimension d’écologie profonde participe à la jouissance de l’approche One Health. Les plantes regorgent des richesses inestimables biomoléculaires et cosmétiques. Quelle divine beauté une telle vie !