Trois questions pour comprendre les enjeux et défis des chaînes de productions agricoles en Côte d’Ivoire. L’agriculture ivoirienne est un pilier essentiel de l’économie nationale et elle approvisionne un marché mondial. Paradoxalement, les planteurs sont très pauvres. La dénonciation tonne plus qu’une association constructive des parties prenantes. La victimisation permanente n’aide pas. Par ailleurs, la déforestation, le travail des enfants, la pollution, inspirent toujours plus de normes, de contrôles, de certifications imposées, souvent avec peu d’impacts sur les petits producteurs, et sans effet transformateur. Cette interview ouvre un nouveau paradigme, une approche mutualisée, pour sortir des effets d’annonces. Bastien Sachet, CEO d’Earthworm Foundation, ouvre une piste pour l’amélioration et la protection des ressources communes et individuelles. Afin d’élaborer une résolution durable aux problématiques contemporaines des chaînes de productions agricoles. La vie de nombreux planteurs, le recouvrement du couvert forestier, l’entretien pérenne de l’environnement et plusieurs emplois dans l’industrie reposent sur cette synergie d’inspirations pour « une écologie de solutions » soutient-il.
Qu’est-ce qui selon vous, caractérisent l’agriculture Ivoirienne et les produits qu’elle génère ?
Bastien Sachet : La Côte d’Ivoire, c’est surtout des petits producteurs qui produisent une part importante des matières premières (cacao, huile de palme, hévéa, etc.) dont une partie est consommée localement et l’autre partie – la plus grande – est exportée. De fait, il y a une grande pression, une grande demande qui vient des acheteurs en termes de normes, de standards environnementaux et sociaux. Malheureusement, ces standards viennent souvent s’appliquer comme une punition. Or, il faut bien voir que le producteur est souvent dans une situation très complexe puisque les prix des matières premières sont peu élevés parce qu’ils sont achetés à la porte de la plantation avant de suivre un chemin parsemé de nombreux intermédiaires. Donc, ce qui reste dans la main du producteur, ce n’est pas beaucoup et sa manière de produire n’est souvent pas optimale. Et ça, on le voit à travers toutes les matières premières. On parle beaucoup plus du cacao mais c’est la même chose dans l’huile de palme, dans le caoutchouc un petit peu moins parce qu’on a beaucoup d’accompagnement de la part de la filière. Mais, c’est une caractéristique typique de ces matières premières. Face à cela, le planteur externalise les coûts. Il va chercher de la fertilité dans la forêt. Il va employer des gens qui sont quelque fois des proches ou de la main d’œuvre bon marché. Tout cela ressort en scandales dans beaucoup de reportages médiatiques qui ternissent l’image de la Côte d’Ivoire.
Face à cette situation où le planteur s’adonne à des pratiques peu recommandables en vue d’assurer sa survie financière au détriment de la protection de l’environnement et des gens, quelles solutions peuvent-elles être mise en œuvre ?
Bastien Sachet : Nous pensons qu’à une « écologie punitive », nous avons besoin de proposer « une écologie de solutions ». Nous devons aller à la rencontre du secteur privé, des entreprises, des planteurs mais aussi des autres parties prenantes comme les Organisations
Non Gouvernementales (ONGs) et le gouvernement pour travailler main dans la main. Chez Earthworm Foundation, nous avons réalisé des projets très concrets qui consistent à comprendre les chaînes de valeur du cacao et de l’huile de palme. Ensuite, à les optimiser. Nous l’avons fait dans la région de Soubré avec 3000 planteurs d’huile de palme. Après avoir constaté d’énormes pertes dans la collecte des régimes de graine, nous avons travaillé à optimiser cela. Aujourd’hui, c’est 25% de régimes de graine en plus qui sont livrés à l’usine. Ce qui est au bénéfice du producteur et de l’usine. Tout le monde est gagnant et au final, on a moins de gâchis. Une autre solution que nous avons mis en place, consiste avec AIRBUS, à travailler au suivi et au monitoring des forêts par satellite. La solution déployée est une innovation technologique dénommée STARLING. Elle combine images satellitaires optiques et radar de haute résolution. Avec STARLING, nous avons travaillé main dans la main avec la Société de Développement des Forêts (SODEFOR) pour être plus précis dans le suivi de la dégradation forestière. Nous avons établi des diagnostics pour avoir une connaissance exacte de l’état de la forêt classée de Cavally. Les informations collectées ont permis à la SODEFOR de mener des actions efficaces (patrouilles ciblées, destructions de plantations, etc.). Aujourd’hui, le taux de déforestation de la forêt de Cavally a baissé de 7,4%. Des plantations détruites, il y a un an, sont devenues des jachères hautes de 2 mètres.
Dans la recherche et la mise en œuvre de solutions visant à optimiser le rendement agricole tout en préservant l’environnement, quel doit être le rôle de la société civile ?
Bastien Sachet : Le rôle de la société civile est en train d’évoluer significativement avec le temps. Étant donné que nous avons davantage de transparence dans l’information avec les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC), les journalistes rapportent un certain nombre de faits. Finalement, nous avons une opinion publique qui est beaucoup plus informée de ce qui ne va pas et de ce qui doit changer. Les ONGs par le passé, notamment les activistes, ont beaucoup été dans la dénonciation. Aujourd’hui, je pense qu’elles doivent être dans l’association. C’est-à-dire, comment venir travailler avec les parties prenantes et apporter dans le débat avec les bailleurs de fonds, le secteur privé et les gouvernements, leurs regards indépendants, différents et de terrain. Cela ne veut pas dire abandonner leurs convictions, mais plutôt mettre la richesse de leur travail non pas au seul service des médias et du sensationnalisme, mais au service de tous ceux qui recherchent à faire changer les choses. Nous travaillons avec des réseaux d’ONGs pour voir comment est-ce qu’elles peuvent devenir des vérificatrices de ce qui se passe sur le terrain via une initiative qui s’appelle KUMACAYA www.kumacaya.org. En Côte d’Ivoire, une initiative similaire dénommée WALK AND TALK TO CHANGE est en développement. Certainement, les ONGs pourront avoir un rôle qui va au-delà de la certification. Aujourd’hui, ce sont les auditeurs qui sont payés par ceux qui vont se faire auditer pour donner des certifications. Pourquoi donc dans l’avenir, les ONGs ne joueraient pas un rôle de suivi régulier de ce qui va bien et de ce qui ne va pas bien dans le cas de certaines matières premières par exemple? À Earthworm Foundation, nous sommes en train de renforcer les collaborations et partenariats avec les ONGs dans cet esprit constructif de constater les problèmes et ensuite, s’atteler à les résoudre.