Cet article est le premier d’une série de contenus réalisés dans la commune populaire de Yopougon en immersion dans un milieu précaire ou la drogue complète les peines. « Biberonnés à la drogue » est le titre de ce Dossier qui vous invite au cœur d’un fléau sous une perception moins tapageuse qu’est la vie précaire autour d’un fumoir. Les conséquences sur la société dans sa globalité sont certaines. Vos expériences respectives enrichiront le débat et contribueront à une meilleure action.

 

Elle doit bientôt accoucher. La douleur des contractions s’intensifie. Il est 22h passées et son mari est absent. C’est un travailleur de nuit. Seule dans cette chambrette, elle se tord de douleur devant son petit garçon de trois(3) ans, impuissant. L’une des voisines est alarmée par ses cris, elle se porte à son chevet. Il faut la conduire à l’hôpital, elle a perdu beaucoup d’eaux. Deux autres voisines se joignent à la première et l’une d’entre elle part à la recherche d’une brouette dans cette obscurité. Le quartier est desservi en électricité par des branchements anarchiques. De gros trous le jonchent. Elles le savent, aucun véhicule ne peut accéder à leur lieu d’habitation. Il n’y a pas de canalisation. L’enfant qui naitra devra s’accommoder tout comme les précédents. Mais pas seulement qu’a la précarité infrastructurelle et financière.

Dealers et baby-sitters par ailleurs

Dans un esprit de solidarité à la façon locale les parents confient la garde des enfants sans hésiter. Un fumoir est à proximité des habitations, certains enfants nés depuis sa création y sont devenus clients et des adultes y sont abonnés.

Très souvent partis sur leurs lieux d’activités ou dans les bistrots du secteur, des pères de familles espèrent obtenir plus de revenus, impuissants devant les dégâts de cette misère. Les enfants errent sans surveillance dans les ruelles insalubres et insécures du quartier, au contact quotidien de dealers de drogue.

Sans surprise, certains enfants nés dans le quartier finissent par en consommer eux aussi à l’image de ces trois cousins, voisins de Natacha qui se désignent volontiers comme parrains de son fils. La mère les sollicite régulièrement pour assurer la garde de son fils lors de ses déplacements. Elle n’ignore pas que l’un d’eux fait parti des chefs dealers du fumoir installé juste derrière la maison de cette femme. Nous sommes à Mami-fêtê, sous-quartier à Yopougon-Sideci. Les enfants, admirent les « babatchê du ghetto », avec qui ils passent plus de temps que leurs répétiteurs. Les violences au fumoir inspirent leurs jeux et leur créativité.

Ils sont nombreux, ces parents à vouloir quitter ce quartier. Difficile, cependant ! Plusieurs, comme de nombreux ivoiriens d’ailleurs, vivent avec à peine le dollar au quotidien. Le mari de Natasha est un videur dans une boite de nuit. Les coûts des loyers dans les quartiers viabilisés sont hors de sa portée. La mesure gouvernementale visant le plafonnement de la caution et de l’avance à trois(3) mois n’est globalement pas appliquée. Dans cette mégapole où le 1/3 des habitants vit dans la précarité, les propriétaires réclament deux à trois fois plus avec des coûts mensuels supérieurs au Smig.

Selon le ministère de la Construction, du Logement et de l’Urbanisme, le district d’Abidjan comptent 132 quartiers précaires à l’image de celui de Natacha et ses voisines, pour 1,2 millions d’habitants au moins. La population d’enfants dans ces zones selon les observations lors de cette immersion est au moins deux(2) fois supérieure au nombre d’adultes sinon bien au-delà.

État complice ou impuissant

Le ministère de la sécurité et le préfet d’Abidjan multiplient les battages et les publications sur les réseaux sociaux pour annoncer des opérations éperviers qui n’accouchent que des souris ou des visites folkloriques.
Ils brandissent plusieurs destructions de fumoirs qui repoussent avec des complicités internes parmi les forces de l’ordre. Violant ainsi les droits des enfants à une éducation et une santé saines réaffirmés par plusieurs conventions dont le pays est signataire. Les supermarchés de la drogue dans ces quartiers modifient la vie des familles et le développement des enfants quand bien même ils n’en consomment pas. La discipline prônée dans la devise nationale de même que ces actions infructueuses précitées, menées par l’Etat élite, est finalement perçue comme œuvre pour se donner bonne conscience.

Et voici que la drogue est désormais aussi répandue comme un biscuit dans les zones huppées. A quelques mois de la prochaine élection présidentielle, l’année 2019 est déclarée année du social par le gouvernement ivoirien après huit(8) ans de croissance économique remarquable au plan mondial. Hormis les dealers qui règnent, cette performance est incomprise dans ce bidonville populaire.