Aboisso, n’est pas que la capitale administrative de la région du sud-Comoé. Dans cette localité, au Sud-est du pays à la frontière avec le Ghana, sévit un vaste réseau de proxénétisme aux tentacules gigantesques.
Paradoxe ! A Aboisso, le plus grand lieu de commerce du sexe connu de tous est situé au centre ville, juste derrière le commissariat de police. Là, les prostituées y ont établi leur quartier général. De petites chambres appelées « Entrée-Couchée» sont disponibles pour qui veut bénéficier de services sexuels. Tout comme dans le chef lieu de région, prostitution et proxénétisme sont pratiques courantes dans les villes et villages environnants.
Ce jeudi d’avril 2019, a l’entame d’un mois réputé pour des blagues, le tribunal d’Aboisso vient de condamner à 10 ans d’emprisonnement ferme dame Israël Nancy Joy, 30 ans et Isaac Beyonce, 32 ans et à cinq ans d’emprisonnement ferme le sieur Wandji Michel dit Kapo, 39 ans, pour proxénétisme, trafic illicite de migrants et traite de personnes. Les trois individus ont comparu lors d’une audience correctionnelle.
Il ressort de l’exposé des faits que Nancy et Beyonce, domiciliées à Noé à la frontière avec le Ghana fait venir des filles du Nigéria. Une fois en terre ivoirienne et précisément à Noé, elles obligent ces filles à se prostituer et à leur verser plus d’un(1) million de FCFA après trois(3) mois. Usant de moyens contraignants. Coupées de leurs parents et leurs pièces d’identité notamment les passeports confisqués pour éviter toute fuite. De manière quotidienne, ces filles converties en prostituées sont obligées de verser de l’argent aux deux(2) patronnes car la bande de malfrats est étoffée. Sieur Wandji Alias Kapo, est chargé de les loger et de leur trouver des clients. Manque de pot pour ce trio de proxénètes, l’unité de lutte contre la criminalité transfrontalière de la police mît le grappin sur eux. Ces onze(11) filles déportées ont été recueillies par la direction régionale du Ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfant.
« Autrefois, cette pratique s’exerçait dans un contexte de clandestinité. Mais de nos jours, elle est connue de tous », précise Brou Kassi, à la sortie du tribunal.
« Une activité jouissive »
En plus d’être juteuse pour eux, du haut de la pyramide, les proxénètes masculins ont droit à des services sexuels gratuits. Plein de tonus, ils travaillent à ancrer davantage leur activité dans la zone. « Ces proxénètes ont recours à la violence physique, à l’intimidation, aux ruses et aux pressions de toutes sortes pour forcer une personne à se prostituer ou à continuer de se prostituer.» affirme Sosthène N., très introduit dans le milieu. « Le proxénète a un rôle double. Il est le garant moral, le tuteur des filles. A ce titre il assure leur sécurité et leur protection. Il peut également agir afin de permettre aux clients et aux prostituées de se rencontrer en leur fournissant un lieu de rencontre ou en les mettant en contact », poursuit-il. En échange, la prostituée verse une somme d’argent à son mentor. Cette somme oscille entre 2 000 et 5 000 F CFA/jour, soit un revenu mensuel pouvant atteindre 150 000 F CFA. Plus du double du SMIG, planché à 60 000 F CFA dans ce pays ou l’âge du chômage est si souvent au centre des débats. Le personnel sexuellement actif s’en tire avec une quarantaine de mille par semaine en moyenne.
Dans ces flux financiers sexuels, le commissariat reste les yeux bandés. Il sert même de boussole pour les novices qui cherchent un espace dédié à l’entreprenariat libidinal. « Il suffit de dire derrière commissariat, c’est le code », pour les nouveaux voyageurs.
Un peu plus à l’ouest, à Maféré, la pratique est plus discrète. On la retrouve dans des bars avec des danseuses nues. Au maquis « Connexion», plusieurs filles proposent leurs services, une fois à l’intérieur. Leurs charmes renforcés par leur nudité sont des appâts idéals. Dès qu’un accord est trouvé avec le client, rendez-vous est pris dans une pièce contiguë à l’établissement sous la supervision d’un loubard qui fait office d’agent de sécurité. Les amateurs de discrétion préfèrent fréquenter Ayamé, à 19 Km au sud d’Aboisso. Dans le quartier « N’Douba N’guessanbo » de cette localité, une maison close dite « Maison Rose » a ouvert ses portes avec une dizaine de filles. Ces maisons, on en retrouve également à Akressi, à 30 km au sud d’Aboisso, et même à Assouba sur le tronçon Abidjan-Aboisso. La plupart des prostituées rencontrées dans la région d’Aboisso sont originaires du Nigeria ou du Ghana. Ces filles appâtées par la promesse d’un avenir radieux sont abusées par ces réseaux clandestins sous le regard des autorités. La pratique est largement répandue. À travers ces condamnations, le Tribunal d’Aboisso dit vouloir donner un signal fort afin que prennent fin ces pratiques.
Des adolescentes déscolarisées ou encore sur les bancs de l’école se retrouvent dans la mêlée, progressivement incitées et intégrées, sous le nez du Commissariat.