Lundi 27 mai 2019, une dizaine d’Organisations Non Gouvernementales (ONGs) Camerounaises et Française assignent en justice la société Française Bolloré. Leur objectif, obtenir l’application de mesures améliorant les conditions de vie des travailleurs et riverains de plantations d’huile de palme au Cameroun, gérées par la Socapalm, une filiale camerounaise du groupe luxembourgeois Socfin, lui-même détenu à hauteur de 38,75 % par Bolloré.
« Nous demandons au juge français de forcer le groupe Bolloré à exécuter ses engagements pris en 2013 envers les communautés riveraines et les travailleurs des plantations de la Socapalm », peut-on lire dans le communiqué des ONGs plaignantes.
L’affaire remonte à 2010. Un rapport fait état de manquements aux normes fondamentales du travail et de respect de l’environnement. Déforestation, accaparement de terres, rudes conditions de travail et logements sommaires y sont documentés.
Suite à la publication de ce rapport, Bolloré se propose comme interlocuteur entre les ONGs plaignantes et Socfin. En septembre 2013, un plan d’action est élaboré « visant à l’amélioration concrète des conditions de vie des travailleurs, de leurs familles et des populations locales ». Un an plus tard, le groupe français cesse l’exécution du plan au motif que la société Socfin refuse son application. Chose que les organisations plaignantes voient d’un mauvais œil. Elles estiment que « les multinationales ne devraient plus pouvoir échapper à leur responsabilité en se cachant derrière les engagements non contraignants ».
Cette affaire lève un coup de voile sur les pratiques moyenâgeuses de certaines multinationales et sur le rôle que la société civile a à jouer dans la surveillance des pratiques des agro industriels.
Le respect et suivi des engagements des multinationales, une exigence…
Le 16 Mars 2017 à Londres, les plus importantes entreprises de la filière du cacao et du chocolat ont lancé l’Initiative Cacao et Forêts (IFC). L’objectif consiste à travailler ensemble, en partenariat avec d’autres organisations, afin de mettre fin à la déforestation et à la dégradation des forêts dans la chaîne d’approvisionnement mondiale du cacao, en commençant par la Côte d’Ivoire et le Ghana.
Chose bizarre, deux ans après la prise d’un pareil engagement, la Côte d’Ivoire et le Ghana continuent de perdre une importante partie de leur couvert forestier. Un rapport publié par le World Resources Institute (WRI) en mai 2019 affirme le Ghana et la Côte d’Ivoire ont respectivement perdu 60% et 26% de forêts. Parmi les causes de cette déforestation grandissante, figurent l’extraction minière illégale et l’expansion des plantations de cacao. Ces deux pays à eux seules, représentent près de 70% de la production mondiale de cacao. Coïncidence ?
Etelle Higonnet, directrice de campagne pour Mighty Earth, une ONG environnementale, dans une émission de Radio France Inter affirmait « ne pas croire aux coïncidences(…) ». Elle pointe du doigt la responsabilité de l’industrie du chocolat dans la déforestation à grande échelle : « Comment est-ce possible que ces deux pays soient à la fois les seconds et premiers producteurs de cacao au monde ? Franchement ce ne sont pas que les gouvernants qui soient clairement responsables de cette catastrophe pour les forêts mais aussi une industrie du cacao rapace qui détruit les forêts de façon légale et illégale depuis des décennies (…) L’industrie de cacao a été rapace pour les forêts. Elle a poussé les producteurs à planter un cacao destructeur de monoculture plein soleil ».
Il est clair que la responsabilité des multinationales de la filière cacao est à pointer du doigt surtout qu’en matière de suivi et de respect des engagements pris, il existe encore des zones d’ombres. Des exemples concrets sont requis. « Nous devons parler de l’agroforesterie, mais la déforestation est tout aussi importante. Nous avons besoin d’exemples concrets – au niveau régional – en Côte d’Ivoire qui démontrent que la déforestation peut être stoppée », a déclaré Bastien Sachet, CEO d’Earthworm Foundation, une organisation à but non lucratif active dans la recherche de solutions aux challenges socio-environnementaux.
… à suivre avec la participation d’observatoires indépendants
Si après 2 ans de lancement de l’IFC, les choses semblent ne pas bouger, l’action de la dizaine d’ONGs contre Bolloré peut servir d’exemple. De cette action, des leçons peuvent être tirées par les ONGs Ivoiriennes et Ghanéennes.
La pratique d’une observation indépendante est la première leçon. Elle vise documenter les actions des multinationales avec un regard neutre. La seconde leçon, consiste en la pratique de la médiation pour réunir autour d’une table les principaux acteurs mis en cause et par là, établir des plans d’actions qui seront conjointement réalisés. Une troisième leçon à tirer, est la saisie de la justice en cas de manquements.
Les ONGs Ivoiriennes et Ghanéennes gagneraient à se constituer en observatoire indépendant en vue de pousser les acteurs de la filière cacao à respecter leurs engagements zéro déforestation.