L’un est marchand, l’autre artiste. Deux vies, un destin commun : l’immigration.
Immigré depuis six(6) mois en Côte d’Ivoire, Aboubakar Zoumana se présente comme revendeur.
A 30 ans, il ambitionne acheter des bœufs au Niger, acquérir un terrain dès son retour au pays d’origine. Cependant, la Chine est son eldorado. Plusieurs parmi ses « frères zarma » s’y trouvent, dit-il. D’autres ont réussi à installer de grands commerces en Côte d’Ivoire et importent divers produits du continent asiatique en vue de faire profit au pays cosmopolite. Pour intégrer ce réseau d’import-export, il faut qu’il fasse plus de bénéfices.
Ce jeune est prêt à fournir plus d’efforts. Mais, la vente ambulante de télécommandes, de sandales ou autres articles utilitaires lui a déjà coûté une foulure. Sa jambe droite est restée coincée sous le pneu d’un véhicule pendant qu’il vendait sur la chaussée.
Est-ce que la Côte d’Ivoire va lui être autant favorable qu’à ses compatriotes afin qu’il face un retour triomphal au Niger avant d’envisager l’Eldorado ? Il place sa confiance dans son abnégation et le soutien de son talisman.
Pour cela, il doit épargner au moins 75 000 FCFA, car en plus du ticket en car qui coûte 40 000f, entre le Burkina et le Niger, le racket est exorbitant, confie le jeune aventurier.
En option, un investissement local puis les circuits d’un voyage clandestin. La Libye est voisine à son pays d’origine. Mais, c’est l’Asie sa préférence et non l’Europe. « L’argent pour aller en Chine là ça dépasse pas 800 mille » dit-il, avec comme objectif, obtenir le million avant le départ depuis la Côte d’Ivoire ou le pays natal. Voici le remue-méninge quotidien de Aboubakar.
En ce moment, pendant qu’il panse ses plaies, chaque jour suffit sa peine dans les rues d’Abidjan.
L’Afrique compte 40% d’adultes d’analphabètes et le cas singulier de l’Afrique de l’ouest demeure encore critique malgré les avancées. Sa jeunesse affronte les caïmans du racket et le travail clandestin sur ses terres. Selon l’OIT (Organisation internationale du travail), la zone ouest africaine compte 92,4% d’emplois informels, c’est le taux le plus élevé devant la partie centrale et septentrionale.
La diplomatie et la coopération ont constitué depuis les années indépendances « le double jeu » parfois le « triple » avec ces structures chargées des affaires africaines qui assistent à la peine publique sans solutions efficaces. Un scandale télécommandé dans lequel la bonne conscience de l’APD (Aide publique au développement) s’évalue au cauchemar de millions de jeunes comme Aboubakar épuisés par des pays pipés.
L’artiste dans la mer-de
Le regard vide, chétif, Freddy pense à son talent gâché. Dans son village, tout le monde lui prédisait un avenir d’artiste de renom. « Génie » dans les domaines du dessin, de la caricature et de la calligraphie. Les études stoppées en classe de 3ème après l’échec au BEPC, le jeune homme est de retour au village après quelques années supplémentaires passées en ville. Sur place, il n’a pas eu droit à une parcelle. Bientôt dix ans depuis sa domiciliation au village qu’il vit de petits boulots.
Déçu, mais pas résigné. Son horizon a changé toutefois. Partir vers l’Europe « où il y a pleins d’opportunités intéressantes pour les artistes. En plus, ils sont mieux traités là-bas », projette-t-il. La trentaine révolue, marié, il est prêt à laisser tout derrière lui pour tenter la carte de l’aventure. Le chemin de la méditerranée, il veut l’emprunter.
Le drame connu d’une parente ayant tenté la traversée ne l’ébranle point. Quelques semaines plutôt, « le corps d’une sœur a atterri au village ». Elle a été violée au Maghreb, première escale de son périple vers l’Europe, puis rapatriée. Malade, la honte l’a fait rester à Abidjan. « C’était une belle jeune dame. Vraiment dommage », lance son oncle dépité. Yeux rouges, la douleur se lit sur son visage et dans sa voix à quelques jours des obsèques de sa nièce. Mais, aucun drame ne peut venir à bout de la résolution de Freddy. Tôt au tard, il gagnera l’Eldorado européen, signifie-t-il. Tôt le matin, Freddy traverse le village à la recherche d’un contrat de désherbage, « Téré clé » et fait ses économies.
Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), 48. 845 migrants sont arrivés par la mer en 2018 sur ce continent. Et, les ivoiriens représentent 75% du contingent africains de migrants vers l’Europe. Depuis la crise migratoire de 2015, de multiples barrières sont érigées dans les pays européens notamment en Italie aux frontières duquel plus de 23 000 personnes se réclamant de nationalité ivoirienne ont accosté après une traversée de la mer entre 2016 et 2017.
A la 19ème édition du Forum de Bamako autour de la thématique de l’immigration vers l’Europe, voici ce qui se dit : « construisons des ponts » contre « les murs ». Sauf que, dans la pratique, c’est regarder périr pour décourager ou mettre sur pied des projets locaux dérisoires. Les capitaines de ce jeu dorment en paix avec leurs chiens quand l’italienne Carola Rackete est qualifiée d’« emmerdeuse ».
Au Mali, trajet meurtrier et esclavagiste vers la Libye depuis le chaos installé, lorsque les uns veulent accentuer les actions sur l’aide au développement pour l’Afrique, Khady Sakho Niang, présidente de la plateforme Afrique-Europe, n’est pas contre. Cependant, elle estime que la réelle solution attendue c’est de « créer des opportunités. Des opportunités d’emploi » décents et productifs certainement.
La Libye a, elle seule, reçu plus de 8 924 migrants ivoiriens, l’équivalent de près de 4 fois la population d’une commune comme Gbéléban ( 2 569 habitants, dernier recensement de 2014) dans le nord de la Côte d’Ivoire.
Les vagues de rapatriements se multiplient avec des encouragements au retour à la terre, relayés par les médias comme panacée. Pourtant, la banque mondiale reconnaît la pauvreté des paysans ivoiriens comme la déception de ce demi-siècle au chocolat. Ils vivent avec à peine un (1) dollar le jour dans le pays producteur numéro 1, quand cette chaîne de valeur mondiale rapporte 100 milliards de dollars.
Dans les zones industrielles locales, des milliards sont amassés sur le dos d’une jeunesse abusée, sans couverture santé, sans sécurité sociale. Une jungle.
Depuis sa localité, Gagnoa, Freddy après son périple à Abidjan préfère s’intéresser aux réseaux de passeurs. La ville de Daloa, l’un des principaux aéroports de l’immigration clandestine en Côte d’Ivoire est à quelques 2 heures de route. Aboubakar se renseigne toujours pour son départ en Asie ou en Europe vers une sécurité sociale et des opportunités durables.