Les soirs au quartier Mamie-fêtê à Yopougon, l’ambiance est tonitruante. Les rythmes musicaux traditionnels et modernes rivalisent dans les lobes. Plusieurs micro-commerces proposent du porc et du poisson fumé pour la grande majorité d’entre eux. Sur le chemin de ces saveurs dont le parfum se répand comme odorat favori à tous les visages, se trouve l’eau insalubre qui couvre les ruelles bondées d’enfants. Elle ruisselle partout comme la drogue en plein jour. Cependant, dans les robinets, pour obtenir de l’eau les familles s’alignent de longues heures. Yopougon s’avère la plus populaire des communes de Côte d’Ivoire. Entre la région des grands ponts et le sud-comoé, cette commune bénéficie tout comme les deux autres précitées d’un large réseau hydrographique.
À six (6) mois de grossesse, elle baigne comme bien d’habitants de « la ville aux trois eaux », dans cette gymnastique quotidienne à la recherche d’eau potable. À Grand-Lahou, les enfants pleurent plus que les robinets. Très tard dans la nuit la plupart du temps leurs horaires coïncident. Le débit d’eau arrive aux installations des ménages entre 22h et 00h bien souvent. Le repos devient à peine possible avec les enfants qui geignent. Florence s’occupe quasiment seule de son premier né âgé de trois ans. Son époux travaille à Abidjan où il passe toute la semaine pour ne revenir que les week-ends. Au bout de la journée, éreintée, elle ne parvient pas à rester éveillée pour recueillir de l’eau tard dans la soirée.
Les matins, bassines sur la tête elle se remet aux va-et-vient entre son domicile et les puits. Près d’un kilomètre à parcourir pour ce droit humain vital pour la dignité de chaque être humain. Sa santé et celle de l’enfant se fragilisent. Les nombreuses lessives qu’implique la maternité, l’hygiène de la mère et du nouveau né, l’alimentation de ce dernier dans des conditions sécurisées… Tout est lié à l’eau à l’accès à l’eau et à sa qualité, fait-elle remarquer. Elle risque de subir encore avec des risques multiples pour la survie de son bébé. La ville de Grand-Lahou dans la région des Grand-ponts au sud du pays est pourtant riche en ressources hydrauliques. On y trouve à la fois mer, lagune et fleuve d’où la désignation « ville aux trois eaux ». L’expérience douloureuse de cette femme n’est pas un cas isolé en Côte d’Ivoire. L’accès régulier à l’eau potable est un rêve dont la matérialisation est attendue vivement par des milliers de ménages. OpenUp recense 36.32% des ménages dotés d’eau potable en 2017. Selon le gouvernement , le taux de couverture en eau potable s’estime à 68% en Côte d’Ivoire. Cependant, l’accès direct à l’eau dans les habitations et services constitue une autre paire de manche.
De retour à Yopougon au quartier Mamie fêtê, les porcs côtoient le quotidien des populations autant qu’à Grand-Lahou. Dans cet environnement où les récipients et les enfants s’agitent dans l’insalubrité. 70% des maladies infectieuses et non infectieuses sont à caractère zoonotique alerte le Centre Suisse de Recherche Scientifique (CSRS). Pour limiter les risques sanitaires, les enseignants et autres fonctionnaires de la sous-préfecture de Diabo préfèrent habiter à Bouaké, à quelque 15 kilomètres, et venir au travail chaque matin. L’UNICEF estime qu’une famille sur cinq n’a pas accès à l’eau potable en Côte d’Ivoire. Ces populations vulnérables déjà malmenées par la pauvreté sont durement impactées par ce déficit. Les femmes et les enfants en tête des plus touchés. 32 % des enfants de moins de cinq (5) ans souffrent de diarrhée du fait de la qualité douteuse des ressources alimentaires et hydrauliques. Après une petite enfance marquée soit par des pénuries ou par l’absence totale d’eau potable, vient l’étape de l’école. Là encore, ils sont des milliers d’enfants au primaire à parcourir entre 3 km et plus de 5 km pour rejoindre un établissement scolaire sans l’assurance de se soulager et de se laver les mains malgré l’hygiène enseignée. Plusieurs écoles maternelles, collèges et lycées sont dépourvus d’eau potable. Selon l’UNICEF, 50% des écoles n’ont ni accès à des toilettes ni à l’eau potable.
L’autoroute du nord a bénéficié d’un prolongement jusqu’à Yamoussoukro, mais à l’image de la lagune ébrié à Abidjan, les lacs de la ville touristique font office de dépotoir et d’abreuvoir de bétails en divagation. La pollution plastique décuple à cause de la prolifération de la vente d’eau par plusieurs particuliers compte tenu des pénuries dans les ménages. En Côte d’Ivoire et dans la sous-région, une floraison de distribution d’eau dans des emballages plastiques se présente comme alternative pour l’accès à l’eau potable. A Conakry, capitale de la Guinée, » ce sont les initiatives privées actuellement, toutes les personnes à revenus consistants creusent des forages et distribuent pour l’entourage. La SEG (Société des eaux de Guinée) ne sert que 3 fois dans la semaine », rapporte un habitant de ce pays convoité pour les plus importantes réserves mondiales de bauxite.
L’éducation de milliers d’enfants et de jeunes africains s’effectue depuis des lustres dans cette précarité. La communauté urbaine du quartier Mamie-fêtê abrite un fumoir trentenaire. La plupart des familles vit dans des maisons dénommées « cours communes ». Une habitation de cinq chambres peut contenir une vingtaine de femmes, d’enfants, de jeunes en plus des personnes du troisième âge. Tout ce monde défèquent dans la toilette unique aménagée de manière informelle.
Se procurer de la drogue s’avère plus facile que l’obtention d’un peu d’eau
Plus de 12 % de la population ivoirienne de plus de 15 ans consomment de la drogue. Des milliers de personnes accros, notamment au sein de la jeunesse. Une population rendue vulnérable tant par l’addiction que par le rejet de l’entourage. La consommation de drogues est interdite en Côte d’Ivoire. Et, au sein des communautés, c’est une honte d’avoir un parent qui consomme de la drogue. Conséquences ? Les toxicomanes se terrent dans une réclusion totale, à l’écart presque du reste de la société. Leurs points de repère et de vie pour certains, les fumoirs en prenant le contrôle d’un quartier. Le décor : juste un hangar sous lequel sont disposés quelques bancs pour la plupart du temps. Un cadre où l’insalubrité concurrence avec la quantité de drogues présentes. Lors d’une récente enquête au près des riverains des fumoirs à Abidjan, le constat est clair, la précarité règne sur place. Plusieurs jeunes dorment là sans services d’hygiène de base. À même le sol souvent. Aux quartiers Koweït, Kouté tout comme à Mamie-fêtê, la proximité des fumoirs aux domiciles entraîne des échanges et le partage des ressources vitales pour un accès à l’eau potable aux toxicomanes. Dans le dernier quartier cité, non loin du fumoir, un seul robinet se présente comme la source d’eau pour des centaines de familles. Les coupures malmènent. Récurrentes et longues. Toxicomanes morbides et enfant dans la queue; se procurer de la drogue s’avère plus facile que l’obtention d’un peu d’eau pour le bain ou tout autre besoin physiologique. Aucune douche pendant plusieurs jours, affiche la peau de plusieurs addicts. Ainsi, les plaies de certaines s’infectent dangereusement. Les galles et autres infections corporelles liées au déficit d’hygiène sont légions. La défécation à l’air libre est le seul recours. Multipliant ainsi les risques de prolifération de maladies diverses à la fois pour les toxicomanes et pour les populations riveraines. La fièvre typhoïde, la diarrhée font de ce fait partie des problèmes sanitaires relevés régulièrement au sein des communautés. Des infections mortelles pour les enfants. En Côte d’Ivoire, plus de 15% des maladies infantiles sont diarrhéiques. Pour beaucoup de ces enfants, atteindre la quinzième année de leur existence est hypothétique.