Assis sur ce trottoir ombragé, Privât a quitté le département de Soubré dans la région de la Nawa pour Oumé, zone forestière épicentre d’un polygone aurifère. Cet adolescent méconnaît son âge exact. Il pourrait osciller entre 12 ans et 14 ans. Son métier : apprenti chauffeur sur un tricycle qui relie le centre-ville à «une mine sauvage ».
Pour 500fcfa (1$) la journée, avec un repas aléatoire, le transport de marchandises et de personnes à la mine sauvage est pour ce gosse une aubaine s’il arrive à décrocher un contrat sur le site d’orpaillage clandestin de Toufi. «Je vais faire, je n’ai pas peur», assuré qu’il y gagnera plus de revenus qu’en exerçant comme rabatteur moto-taxi.
Nombreux sont ces enfants attirés dans les mines sauvages pour obtenir un gagne-pain ou épargner pour la semaine scolaire. Bref, avoir une dignité.
A côté de Privat qui n’a pas eu droit à l’école, Issiaka (15 ans), Yaya (12 ans) et Issouffou (13 ans) parcourent les mines sauvages du département pour y vendre de l’eau. «Quand je vends, je donne à grand-mère et elle me donne 100f-100f chaque jour », confie Issiaka en classe de 6ème, car sa « mère est à Duekoué, elle n’a pas l’argent ».
En plus de la mine d’or de Toufi et bien d’autres sur l’axe de Zanguié en partance pour Abidjan, ces enfants se retrouvent aussi sur le site de Dougbafla, trajet pour Hiré, autre zone minière.
L’école est obligatoire de 6 à 16 ans en Côte d’Ivoire. Le code du travail interdit tout exercice dans cette tranche. Cependant, seulement pour l’année 2018, les corvées et autres humiliations ont atteint au moins 7487 cas, avoue le ministère. Une hausse de 43,72% de 2017 à 2018. Le manque de dignité des élèves est une cause certaine d’abandon scolaire. Ces enfants l’ont dit, ils cherchent des revenus pour s’alimenter et aider leurs parents à assurer fournitures scolaires et autres nécessités. Durant les congés et vacances scolaires, ils intensifient ces pérégrinations.
L’orpaillage clandestin apporte dans son flot de mercure et de cyanure des risques sanitaires irréversibles. Mais le silence plane sur la ville quand le sujet est abordé, comme si les uns et les autres se passent le mot « omerta ».
Un dénommé Kolo, revient sur des lèvres affranchies, comme le roi de l’orpaillage illicite, un fortuné rapportent-elles. « Il a une arme à feu » augure un transporteur. Il persiste et signe, «c’est un chef ». Ce héros de l’orpaillage mafieux est un modèle de réussite sociale à l’entendre. Il l’appelle « Kolo cinq(5) étoiles » tel un super général hors hiérarchie. Plusieurs véhicules de type 4*4 et motos sont à l’entrée de son domicile, sur l’axe principal, non loin d’une usine et d’un hôtel en construction encore à lui attribué, alignés à quelques 500 mètres du Tribunal. C’est un propriétaire de nombreuses constructions rajoutent plusieurs sources diverses dans une localité ou tout le monde se côtoie directement ou pas. Son nom est gravé en frise sur cette villa, une marque pour la postérité et une jubilation après exploits. «Les motos appartiennent à ses éléments » réaffirment des riverains. Un engin très prisé dans la ville comme signal d’aisance financière, et aussi nécessaire pour parcourir les pistes villageoises à la quête du filon.
La tombée du jour s’annonce, la troupe est observée devant la belle maison. Certains sont tachetés de boues. A chacun ses moyens pour atteindre une prospérité partagée. L’État n’inspire pas confiance. « Les ivoiriens trouvent leurs institutions corrompues » alertait un responsable de l’Institut National de la Statistique(INS) lors du panel GPS (Gouvernance-Paix-Sécurité) à l’orée d’une année 2018 placée sous le slogan de la lutte contre la corruption.
Un an plus tard, en 2019, la répartition des richesses rime encore avec une déprédation décriée par saison. Cette autre année est dite « année du social » en pompe. Des pompes d’eau sont installées. Alors que l’orpaillage sévit, détourne des milliards, et détériore la qualité du sol et des eaux.
Les dirigeants n’ignorent pas les sites illicites d’orpaillage, car plus de 429 mines sauvages ont été repertoriées. De couteuses campagnes et stratégies de gouvernance minière responsable se succèdent depuis cinq(5) ans mais au moins 241 sites clandestins sont officiellement fonctionnels. A Toufi, avant d’aborder la piste qui mène à la mine sauvage, des corps habillés ont établi un point de contrôle plutôt amical aux orpailleurs ; tricycle, moto et bicyclette défilent avec la main-d’œuvre mixte pour la mine sauvage, sous les yeux des forces de l’ordre. Qu’en sera-t-il de la Brigade de Répression des Infractions au Code Minier(BRICM) annoncée en conseil des ministres pour cette année 2019 ? Des gradés de l’armée impliqués, insistent plusieurs dénonciations publiques. Les autorités locales d’Oumé connaissent Kolo et l’administration du pays est sensée fonctionner dans l’intérêt de tous.
L’émergence fragilisée et pillée
L’État ivoirien tire 56,4 milliards comme recettes fiscales minières avec une production de plus de 25T pour l’or. Quand, le trafic illégal d’or pèse 20T. Selon la Banque mondiale, le pays a perdu 60% de son capital naturel entre 1990 et 2014. Il est logé au 147ème rang sur 169 comme pays « très vulnérable » au changement climatique. L’OCDE alerte sur des « Chaînes d’approvisionnement en minerais responsables». Le Botswana, pays producteur de diamant, investit dans la santé et l’éducation de sa population pour combler la perte de ce capital naturel qui s’épuise. « Depuis deux décennies, l’Etat botswanais affiche une croissance robuste fondée sur une gestion prudente des revenus du diamant, illustrée notamment par la création en 1994 d’un fond souverain, le Pula Fund », note le ministère de l’économie français. La Norvège prépare les retraites avec ses revenus tirés du pétrole et du gaz.
Cependant, la bonne gouvernance prônée par la Côte d’Ivoire peine à se ressentir dans les secteurs clés de développement tel que l’éducation. Et pourtant, son capital humain débordant de jeunesse, reste hernié. « Malgré un rattrapage amorcé depuis 2012, la productivité des travailleurs ivoiriens plafonne à son niveau de 1995 et est inférieure d’environ 20 à 30% à celle observée dans les pays émergents», préviennent ces travaux intitulés Que la route soit bonne.
En zones rurales ivoiriennes, il y a 55% de pauvres. De nombreux parents seront davantage dépourvus d’espaces cultivables alors que l’agriculture constitue leur principale source de revenues. La pression sur les terres au profit de l’exploitation aurifère est dense. Les forêts protégées ne sont pas non plus épargnées. Le pays n’est plus pays forestier. Il doit combler un gap de 3millions d’hectares, ce qui lui prendra des décennies.
L’éducation sous toutes ses formes manquent cruellement à cette Côte d’Ivoire qui assiste à son suicide doré et affiné.
La conquête de l’argent s’impose très tôt aux adolescents. Le taux d’analphabétisme s’étend à 43,8% des populations, siamois au taux de pauvreté et pourtant une classe moyenne monte. Le Rapport 2017 Eldorado Ouest-africain indexe des anciens combattants rebelles impliqués dans le trafic de l’or avec un circuit depuis les pays limitrophes septentrionaux. L’Action pour la Promotion des Droits de l’homme(APDH) interpellait la même année dans un rapport sur les zones aurifères de Bonikro. Femmes plus enfants y travaillent, et encourent des risques mortifères ou des dommages sanitaires irréparables. De nombreuses vidéo types sont à la portée des gouvernants. Les enfants et leurs populations sont gravement exposés.
Si, hier, l’agriculture a financé la scolarité de millions de populations, l’impact de la ruée vers l’or soulève plutôt des inquiétudes dans le pays profond. De même pour la jeunesse des pays limitrophes, principale main-d’œuvre pour l’heure.
A Zanguié, la bête noire des élèves c’est la lecture. Les enseignants sont unanimes. Aussi, la Banque mondiale s’offusque-t-elle devant le faible niveau du système éducatif et l’illettrisme en Côte d’Ivoire, en comparaison par exemple au Burkina. Entre vulnérabilité individuelle, manque d’infrastructures d’accueil, influence social et obligation de résultats, les constatations qui s’en suivent ne surprennent guère. Des centaines d’élèves étudient sous des paillotes à Zanguié 1 et 2. Des établissements datant respectivement des années 66 et 77 sans rénovations majeures. En mars 2018, la société de médias BBC relaie l’effort extraordinaire fourni par un instituteur du village Donsohouo, situé dans le même département. Kouamé Tony Kouadio réaménage une école en désarroi à ses propres frais, bien que, les potentialités naturelles locales produisent d’énormes richesses avec tant de pressions, l’éducation est laissée à la précarité. Ses collègues ne cachent pas leur démotivation ; l’accès aux conditions vitales en zone rurale amenuise élèves et enseignants.
A l’EPP Zanguié 1, «Il y a des élèves qui ont abandonnés les classes l’an dernier pour l’orpaillage » confirme un enseignant. Et d’ajouter « l’un dont le grand frère est orpailleur voulait que l’adolescent soit admis pour l’examen, après ses longues absences consécutives durant l’année scolaire ». Ce gros village est un gîte d’orpailleurs clandestins. Une forte main d’œuvre afflue du Burkina et du Mali grâce à des transporteurs routiers qui assurent la liaison Oumé – Burkina Faso, souvent en minicar, pour un trajet pouvant atteindre 1000Km avec des adolescents. « Le veinard », un jeune orphelin de nationalité Burkinabè a travaillé dans les mines sauvages 8h par jour, les week-ends, afin de subvenir à ses charges scolaires. Certains de ses compatriotes ont abandonné ces sites pour l’extraction de sable à cause des nombreux portés disparus. Cependant, le train de vie des orpailleurs continue de faire rêver, même si la peur au ventre est présente.
Aux yeux de tous
De retour au centre-ville d’Oumé, non loin du « Café minier », à l’espace « No comment » ce sont des hommes en or ; pareil au QG2 repère de prostituées. Les orpailleurs clandestins brillent par leur pouvoir d’achat, vêtements sales ou pas. Un meurtre crapuleux d’une prostituée est signalé. La peur grandit après le drame mais plusieurs élèves disent ne pas avoir le choix hormis la gamme de travail possible dans les mines sauvages.
La demoiselle est retrouvée dans la chambre d’hôtel, vidée de son sang. Là encore les populations évitent de s’exprimer en toute liberté.
En classe de 3ème, cette jeune collégienne de l’établissement Yacouba Sylla reconnait avoir été tentée par une somme de 50mille contre des rapports sexuels. Une proposition délicatement formulée par un orpailleur clandestin « alors que le VIH fait des ravages » souffle-t-elle. Plusieurs jeunes filles scolarisées loin de leurs parents au campement, s’entassent dans une chambre à plusieurs, faute d’internats ou autres structures d’hébergements accessibles. Le déficit de classes à Zanguié oblige autant les plus téméraires à parcourir des kilomètres pour bénéficier des cours.
En Côte d’Ivoire, le mot «éducation» ne figure nulle-part dans le code minier. Et pourtant, ce pays garni de richesses naturelles, suffoque au 37ème Rang/ 54 pays africains, en terme d’indice de développement humain, rapporte le Pnud.
Malgré les nombreux morts camouflés dans les labyrinthes et les fosses des chantiers aurifères clandestins, Privât l’aventurier dans son propre pays, grimpe dans le tricycle pour un autre voyage dans la «mine sauvage» de Toufi, après plus d’une heure d’espérance. Cet adolescent affamé attendant son patron n’a eu de meilleurs choix tout comme ces élèves vulnérables. Quand, pour couronner leurs souffrances l’insécurité sociale et la dégradation de l’environnement guettent sur des générations.
Toutes ces personnalités et dirigeants dont les noms retentissent dans la ville, comme étant des reposoirs pour les mafieux de l’orpaillage peuvent à tort ou à raison contribuer à remédier au désastre. Difficile d’y croire par ailleurs, rien qu’à l’observation du député de Tengrela, surnommée «ibiêkissê», et soupçonnée d’exiger sa part d’or pendant que dans cette localité les enfants non scolarisés et élèves sont autant exposés à la mort par l’orpaillage clandestin.
Les vacances scolaires débutent avec un lot de main d’œuvre et le prix du métal précieux est en forte hausse.
Cette enquête a été réalisée grâce à l’appui financier et l’accompagnement professionnel de partenaires sociaux et publics internationaux à qui nous témoignons toute la reconnaissance pour l’engagement. La responsabilité des contenus publiés relève exclusivement de l’indépendance de l’auteur.