Aire géographique aux femmes d’un teint d’ébène affirmé et aux formes généreuses, la zone d’Aboisso n’a pas que cette richesse culturelle en vitrine. Le passage chez les Agni-sanwi, donne de découvrir une diversité gastronomique locale à séduire les papilles de tout visiteur. Leur offrant dans cette hospitalité harmonieuse, santé, fraternité et vigueur.

Ce 29 octobre a été marqué par une sensibilisation commune au cours de la journée mondiale des accidents vasculaires cérébraux(AVC). En tête des mesures préventives avant le sport, la qualité de l’alimentation est le nerf d’une bonne santé.

Au cœur de la culture locale, l’alimentation durable

Peuple du sud-est de la Côte d’Ivoire, les Agnis font partie du groupe Akan, un des grands groupes ethniques qui peuplent le pays. À l’instar des autres sous-groupes Agni dont les Indénié, Djuablin, les Sanwi ont assis et développé des habitudes alimentaires favorisées par un environnement forestier et fluviale.

De la sauce ‘’N’gbotta’’ en passant par ‘’l’Akpessi N’zo’’ ou encore le ‘’Bokaton’’ et le ‘’ Dabié-Tro’’, la cuisine de la région offre une variété de mets combinant allègrement protéines animales ou halieutiques, céréales ou féculents à une panoplie de fruits et légumes trouvés sur places. Favorisant une économie inclusive, durable et un développement local.

 Le ‘’Dabié-tro’’ et l’Akpessi N’Zo, c’est rapide, consistant et facile à faire.

Le ‘’Dabié-Tro’’ est un savant mélange d’arachide et de graine. Les extraits de ces produits naturels sont ajoutés dans un même récipient pour en faire une sauce unique.  Le gout est spécial. De plus il a pour réputation d’être un repas qui contribue à épurer le système sanguin.

L’igname, les bananes plantains, le riz, le taro voire l’attiéké sont des aliments de base dans toute la région.  Au moins l’une de ces denrées sert d’accompagnement pour la plupart des plats. C’est à juste titre que le ‘’ foufou » se positionne comme l’un des mets les plus prisés par les Agni-sanwi. La plantain ou l’igname, pilée en une pâte collante et servies avec une viande assaisonnée (souvent du poulet traditionnel) et une sauce aux légumes.

Avant de se voir servi l’un de ces plats de résistance, le visiteur a droit généralement au petit déjeuner. ‘’L’Apkessi N’zo’’. C’est de la bouillie de banane plantain accompagnée de poissons carpes, qu’on trouvent  en abondance dans les fleuves de la région. Mais la viande s’ingère désormais dans la recette.

Le nec plus ultra

« Différents mets, surtout la sauce N’gbotta, ne se mangent pas quotidiennement », précise toute suite notre hôte, M. Aka, enseignant et notable.  «  Elle se consomme lors des grands événements, des  fêtes de réjouissances  ou lorsque l’on aimerait impressionner un invité de marque ».

La sauce ‘’N’gbotta’’  commande une attention minutieuse en cuisine en raison de sa solennité. Les ingrédients doivent être sélectionnés avec précaution.  Pour la concocter, « il faut de petites graines de palme, de ‘’l’Effouan’’ – des feuilles à senteur-, de gros machoirans frais et des condiments », détaille Valentine Ekpalé, une  restauratrice. Les ingrédients acquis, place à la préparation.

« D’abord, bien nettoyer les graines. Ensuite, les bouillir au moins 4 fois en renouvelant l’eau de cuisson à chaque tour. Puis, rajouter à la dernière préparation de la graine, le machoiran bien nettoyé ainsi que les ingrédients et laisser mijoter un moment. Après cette étape, il faut retirer le tout,  et malaxer à la main les graines dans un récipient. Une partie de l’eau ayant servi à la finalisation de la cuisson des graines est rajoutée », explique la spécialiste. En substance, des fibres de graines écrasées en pâte sont obtenues avec un bouillon. Dans toute cette saveur, baigne le poisson assaisonné qui mijote à petit feu. La dégustation de cette sauce un peu épicée N’gbota fait oublier « la longue période d’impatience » et le dur labeur de la préparation, témoignent les initiés.

Devant une urgence, l’option  ‘’Bokaton’’,  signifiant littéralement ‘’ajouter à la préparation’’, fera l’affaire. « C’est un plat très rapide qui se concocte généralement lorsqu’on n’a pas assez de temps », explique dame Manzan, une ménagère.  En vue d’acquérir les secrets de la préparation du ‘’Bokaton’’,  nous avons déposé stylo et bloc-notes pour enfiler la casquette de cuisinier. Ici, la viande ou le poisson, le manioc, la banane et les légumes se retrouvent dans une même marmite.  Une fois prêts, on retire la banane et le manioc pour en faire une pâte ; le foutou (différent du foufou). Les légumes sont retirés, écrasés dans un ‘’ dja Nzen’’, un ustensile appelé communément « talié »,  avant de rajouter la pâte obtenue à la sauce et le tour est joué.

Savoirs culinaires et culturels en voie de disparition

Les Agnis-Sanwi sont des gens généreux et hospitaliers. Les populations pensent que ceux qui ont la chance de pouvoir préparer un repas devraient partager leur chance avec les autres.

Les villageois mangent ensemble dans un espace commun.  « Cela unit les gens et développe un esprit communautaire » affirme Bosson Kouao, Conducteur.  Les hommes mangent en groupe, les femmes et les filles dans un autre et les jeunes garçons en troisième groupe. Il peut arriver que les jeunes se joignent au groupe des hommes ou adultes. Des dispositions dont l’objectif est d’inculquer les valeurs culturelles et les règles de bienséance aux jeunes.

Une fois le repas terminé, un bol d’eau est distribué pour nettoyer les mains. Les discussions entre les villageois reprennent ainsi au fur et à mesure que les convives se détendent pour digérer leur repas. Car en cours de dégustation il est déconseillé de papoter.

Ces occasions de repas sont souvent accompagnées de bangui (Vin de palme blanc), ou de vin rouge. Un câlin entre les cultures.

Ce sont des moments de partage et de convivialité dont la régularité serait un gage de perpétuation de la culture locale au sein d’un peuple de tradition orale. Au contraire, ce type d’occasions devient rare avec les urgences urbaines et l’alimentation industrielle. Une attitude accentuée par la jeunesse, selon les anciens. Les regards tournés de plus en plus vers un ‘’ modernisme ‘’, les jeunes ne s’intéressent pas à ces plats. Ils préfèrent des plats dits funs tels que les grillades ou autres fast-foods, déplorent les anciens quand des jeunes invoquent une rupture de la chaîne de transmission des savoir-faire et savoir-être parents-enfants.

« Nos parents ne nous ont pas appris à faire ces plats. La dernière fois que j’ai vu une sauce N’gbotta remonte à 2016. C’était à l’occasion d’un concours culinaire organisé par la communauté Catholique, à Ayamé » déplore Laetitia, 29ans.

La disparition des savoir-faire culinaires locaux présage. Ces traditions portent pourtant des valeurs universelles et essentielles pour la santé humaine et environnementale. Avec de maigres soutiens, plusieurs festivals régionaux s’évertuent à réparer la boussole.

A toutes fins utiles, au cours des journées de sensibilisation pour réduire les AVC, une alerte sanitaire pointe. Car, « en Côte d’Ivoire, l’AVC représente aujourd’hui le premier motif d’admission au service de neurologie avec une moyenne de près de 40% des cas d’hospitalisation et une gravité préoccupante de l’ordre de 100% de déficit moteur » pour des décès aussi violents que silencieux, estimés entre 25 et 40%. Le ministère de la santé en révélant cette urgence sanitaire avoue que la prise en charge est pour l’heure assurée grâce à un seul Institut de cardiologie.