Marié et père de quatre (04) enfants dont deux scolarisés, Maxime vit dans une cours malfamée proche d’un bas-fond. Avec son voisinage, ils s’abreuvent à partir d’un puits recouvert à moitié de vieilles tôles. La résurgence de maladies qu’il assimile au « paludisme » chez ses enfants éprouve une économie familiale déjà à quatre pattes. Sa deuxième fille, inscrite en classe de CE1 dans une école primaire publique s’est faite renvoyer durant l’année scolaire pour non payement des frais annexes de COGES, raconte-t-il. « Souvent on prend du riz et des produits de première nécessité à crédit auprès du boutiquier du quartier », avoue ce paysan dans l’indignité et l’indigence. Pour lui, sa vie est loin de ce qu’il avait imaginé au moment de la création de cette plantation panacée.

Un sourire mélancolique apparaît sur son visage épuisé. Puis, Maxime ressasse ses rêves d’alors. Il y’a quelques sept-huit ans, ce quadragénaire détruisait sa plantation de café au profit de plants d’hévéa. Le kilogramme d’hévéa s’achetait alors à 1 000 F CFA en Côte d’Ivoire. Une solution pour se soustraire des travaux champêtres « difficiles et rudes surtout pour la culture du café », obtenir des revenus optimaux de façon mensuel. Un salariat agricole qui a séduit plus d’un cultivateur dans le pays, devant une précarité professionnelle éprouvante avec la montée de l’urbanisation. A Gagnoa, ville joviale et riche, ce paysan de la localité de Dignago a vu ses espérances bouleversées moralement et économiquement par ce mirage professionnel.
À l’image de Maxime, les espoirs de plusieurs familles ont été douchés par la dégringolade du prix d’achat du latex.

Sur cette parcelle de deux hectares,
ces arbres élancés s’étendent en fil méthodique. « Une fierté en d’autres temps », lance amer ce propriétaire.
Dans les tasses attachées à chaque tronc d’arbre couche du latex déjà solidifié sur lequel se jette une rivière blanchâtre. « La saignée s’est faite très tôt ce matin » explique-t-il.
Depuis le mois de janvier, la récolte n’a pu compenser la « défaite » consentie pendant les fêtes de fin d’année. En amont comme en aval, les revenus de la vente de caoutchouc naturel ne satisfont pas les cultivateurs en cette période de l’année, à la lisière de la trêve. Les récoltes doivent, en effet, être suspendues pendant les mois de février et mars pour cause de sécheresse et de régénérescence des plants. Le long du premier semestre les dettes grossissent.

Ping-pong tarifaire

Pour la campagne 2019, le prix du kilogramme de caoutchouc naturel est fixé à 252F CFA.
Sur le terrain, dans la zone de Gagnoa notamment, c’est une autre histoire. Les plus chanceux se voient proposer 150 F CFA quand d’autres acheteurs descendent jusqu’à 120 F CFA voire 110 F CFA / kg. De ce maigre revenu, il faudra soustraire 50 F CFA / kg en guise de salaire du saigneur, des frais de transport de la plantation au village à la charge du planteur, le coût du matériel à remplacer de temps à autres, les produits à acheter sans oublier les frais de désherbage.
Ceux qui voudront vendre au prix indiqué par l’État devront attendre deux mois voire plus après la pesée pour être payés. Un supplice pour nombre de planteurs désarçonnés dont l’hévéaculture est devenue la seule source de revenus. À la sueur de leur front, la Côte d’Ivoire s’est hissée à la 1ère place des producteurs africains de caoutchouc naturel, avec 70 % de la production continentale, sans une politique de suivi après incitation à culture.

Les victimes de cette saignée rouge sont nombreuses. Jean-Claude lui s’est installé à Mayo dans la zone de Soubré, il y’a quelques années après avoir quitté sa région, Guiberoua. Dorénavant, il se dit contraint de trouver une source de revenus complémentaire. À l’en croire, le salaire de la saignée peut prendre des mois avant d’être payé.
Ce planteur est alors devenu ouvrier. Après la saignée effectuée autour de 4h-5h du matin, Jean-Claude s’empresse de revenir au village pour vite regagner le chantier agraire où il travaille depuis quelques temps. Sa femme vient d’accoucher d’un garçon et il lui faut gagner de l’argent pour s’occuper de cette famille de cinq (5) personnes.
Entre désillusion et colère, les populations se retrouvent prises au piège d’une politique agricole nationale basée sur les cultures d’exportation et dont le pays peine à transformer localement les productions. Pendant ce temps la faim talonne. Le paysan manque de revenus pour le minimum et ne peut réadapter sa plantation malgré les besoins. La Banque mondiale rapporte que le paysan en Côte d’Ivoire vit avec à peine 1 dollar par jour, avec pauvreté en zones rurales estimée à 56,8%.

S’il survient d’autres urgences financières, Maxime n’écarte pas de mettre sa plantation en location à défaut de revenus consistants, d’épargne et d’accès à des services bancaires. Malmenés par les acheteurs et abandonnés par l’Etat, bien de villageois sont déjà passés à l’acte.