C’est une ville en joie. Gagnoa célèbre ce jour ses filles et fils. Parents, chefs d’établissements scolaires, autorités coutumières, religieuses et administratives, tous sont sortis en l’honneur de ces jeunes, victorieux après plusieurs mois de labeur. À l’image de cette ville du centre-ouest ivoirien, le pays tout entier enregistre des scènes de liesse, lundi 29 juillet. Les résultats du baccalauréat session 2019 proclamés, les bacheliers commencent l’aventure de la rue, loin des parents exténués.

La réussite à cet examen est la fin d’un périple comme le font savoir ces jeunes à Abidjan. Torses nus et imbibés de talc, ils font le tour du quartier en chantant. Sous un air Wôyô (base musicale du genre Zouglou), l’on peut distinguer ces paroles: « porter le kaki, ce n’est pas facile. On n’est plus dedans ». Des pleurs mixtes la mélodie de ce lyric.

« Plus difficile, ce qui se trouve devant », avertit un trentenaire quand un classique de Bilé Didier est reprise en cœur par les futurs étudiants. Cet effort de résultat satisfaisant accompli par cette jeunesse est trop vite déchanté par l’environnement social post-bac. Tout pour démotiver, depuis trois décennies.

Le taux de réussite est en baisse par rapport à la session de 2018 (41,23% contre 46,09%), mais, il n’en demeure pas moins que cette nouvelle vague de Bacheliers engendre d’énormes besoins et exigences: infrastructures d’accueil, moyens de déplacement, avec au bout des études, des opportunités d’emplois et non des concepts soudains. « Entreprenez » ! « Retournez à la terre »…

Ne serait-ce que pour 2019, le ministère de l’éducation nationale brandit 107 897 personnes déclarées admises. La plus grande cité universitaire disponible et les autres fonctionnelles comptent moins de 6000 places, déjà sollicitées. Pour les cours, une large majorité de nouveaux étudiants prend d’assaut les universités publiques, insuffisantes pour accueillir les flux. Les grèves et années académiques s’étendent à la durée du mandat présidentiel. Plusieurs vidéos en ligne montrent ce visage calamiteux des amphithéâtres surpeuplés à l’Université FHB de Cocody et  Nangui Abrogoua d’Abodo-Adjamé. Les étudiants couchés sur les sièges faisant office de matelas ou à même le sol. Les chambres doubles accueillent souvent le triple de locataires prévus. Des cités n’ont pas été rénovées depuis bientôt 10ans. Habitées au départ par des combattants armés, elles sont devenues plus dégueulasses, envahies de déchets et broussailles. La Sotra n’arrive pas à relever le défi du transport décent des étudiants, ce qui occasionne les longs séjours au sein des Universités quel que soit le gîte. Des intellectuels lessivés, tellement essoufflés, et abandonnés à la fatalité de l’attroupement vers le fonctionnariat pour trouver une pitance. Quarante ans d’éducation réduits ainsi. La créativité sociale de plusieurs générations polluée et politicardisée.

Pour rapprocher le droit à l’enseignement supérieur aux zones urbaines secondaires, sur les cinq (5) Universités publiques annoncées par le chef de l’État, celle de Man entamée souffre des mêmes déficits de logement et de transport.

À San Pedro, ville qui doit abriter l’une des cinq Universités promises depuis 2010, les travaux sont lancés en fin de mandat. Certaines populations sont dubitatives quant à l’achèvement ou à la continuité. La maison des députés et d’autres infrastructures ont connu des ralentissements ou des arrêts. Le leadership politique est gangrené.

Les plus téméraires, studieux et chanceux sortis de cet antre de traumatismes qu’est l’Université en Côte d’Ivoire, eux aussi sont confrontés aux problèmes de l’adéquation formation-emploi et qualité des diplômes. Le niveau scolaire et universitaire est décrié sur le marché du travail autant par les chefs d’entreprises locaux qu’étrangers. Alors que, la fuite des cerveaux locaux est criarde tout comme l’importation de ressources humaines. « Malgré un rattrapage amorcé depuis 2012, la productivité des  travailleurs ivoiriens  plafonne à son niveau de 1995 et est inférieure d’environ 20 à 30% à celle observée dans les pays émergent », alerte la Banque mondiale en 2019. Une institution amie qui, aux dernières nouvelles, interpelle le leadership des décideurs pour une meilleure valorisation du capital humain.

49.221 filles et 58.076 garçons sont désormais dans les rues, titulaires du Baccalauréat après de rudes sacrifices des familles. Les parents ont consenti à une augmentation de la scolarité à l’Université publique mais leurs enfants restent si nombreux livrés au pire, depuis chaque proclamation d’une admission à ce diplôme dont la saveur est devenue mélancolique.