Depuis quatre ans, ce prix encourage et développe la créativité artistique en littérature. « Les Afriques ». La ferveur, l’heur, la terreur, l’imaginaire, d’Afrique et d’Afrodescendants s’expriment et se délectent dans chaque œuvre du Prix « Les Afriques ». Cette année 2020, l’œuvre primée focalise sur les défis contemporains de la famille en Afrique, singulièrement au Nigeria. Membre du jury, Nicole M., écrivaine et passionnée par une littérature au cœur de l’épanouissement humain confie son intime perception d’une romanesque où la seconde épouse s’impose dans les psychés comme alternative dès que le soupçon d’infécondité affecte la famille Akin et Yejide. « C’est une belle histoire d’amour, un chant sur la non-maternité malheureuse et culpabilisante, la perte et les renoncements, l’impuissance du patriarcat nigérian, incapable de se renouveler, de tisser un nouveau destin pour les femmes », relate Nicole M.
Un titre : Reste avec moi. C’est le premier roman de Ayòbami Adébayò.
Extraits:
Je savais que j’étais censée me mettre à genoux, courber la tête telle une écolière punie et dire que je regrettais d’avoir manqué de respect à mon mari et à sa mère dans la foulée. Ils auraient accepté mes excuses – j’aurais pu invoquer le diable, le temps, ou mes nouvelles tresses trop serrées qui tiraient sur la peau de mon crâne et m’avaient poussée à parler avec irrévérence en leur présence. Mais mon corps était noué comme la main d’un arthritique, et je ne pouvais pas l’obliger à prendre des positions face auxquelles il se dérobait. Aussi, pour la première fois, je ne tins pas compte du mécontentement de ma belle-famille et me relevai alors que j’étais supposée rester à genoux. Je me sentais de plus en plus grande à mesure que je me dressais de toute ma hauteur.
– As-tu déjà vu Dieu dans une salle d’accouchement? Réponds-moi, Yejide, as-tu déjà vu Dieu dans une salle de travail? Ce sont les femmes qui fabriquent les enfants et si tu n’y arrives pas, c’est que tu es un homme. On ne devrait pas te considérer comme une femme.
Reste avec moi narre le parcours difficile et parfois hors des sentiers battus, d’un couple pour avoir un enfant dans le Nigeria des années 80. Un Nigéria en proie à des secousses, le grand banditisme et des coups d’états militaires.
Yejide et Akin se sont aimés dès le premier regard à l’université. Quelques années plus tard, ils se marient. Cependant, la belle Yejide peine à tomber enceinte. Honteusement et le cœur déchiré par la douleur, elle prend des traitements, consulte des sorciers, utilise des potions, mais rien n’y fait. La famille de Akin s’impatiente et le pousse vers une seconde épouse, celle qui devra lui donner un héritier.
C’est un roman sur le poids des traditions dans un pays où la vie de couple est régie par des conventions qui le dépassent. C’est une belle histoire d’amour, un chant sur la non-maternité malheureuse et culpabilisante, la perte et les renoncements, l’impuissance du patriarcat nigérian, incapable de se renouveler, de tisser un nouveau destin pour les femmes. C’est enfin une parabole politique fine et puissante, un récit poignant, plein de verve et de couleurs, servi par une belle écriture, riche et imagée.
Avec ce premier roman, l’autrice s’attaque à des sujets visités et revisités sans tomber dans la redite.
Un roman coup de cœur !
Nicole M. Membre du comité de lecture
de la Cène littéraire.